Du 4 au 8 juin 1701, De Trabzon à Bayburt
Trabzon-Bayburt.
Les deux espèces de Chamaerhodendros à fleur purpurine et à fleur jaune se faisaient voir assez fréquemment le long des ruisseaux. Rhododendron ponticum et Rh. luteum, Tonya, juillet 2025.
De Trébizonde jusques ici le pays nous avait paru assez semblable aux Alpes et aux Pyrénées. Paysage des environs de Tonya, juillet 2025. Photo Frédéric Tintilier.
" On passa ce jour-là 4 juin par des montagnes fort élevées et l’on avança toujours vers le sud-est. Nous ne prîmes pas la route la plus courte pour aller à Erzeron ; le pacha voulut suivre la plus commode et la moins rude (…). Nous mettant le matin à la tête de la caravane, nous prenions chacun un sac et nous nous détachions à quelques pas, tantôt à droite, tantôt à gauche, pour amasser ce qui se présentait. Les marchands riaient de nous voir descendre de cheval et remonter, pour ne faire que cueillir des plantes qu’ils méprisaient fort, parce qu’ils ne les connaissaient pas. Nous menions quelquefois nos chevaux par la bride, ou les faisions mener par nos voituriers, afin de faire notre récolte plus à notre aise. Au premier gîte nous décrivions nos plantes tout en mangeant, et mr Aubriet en dessinait le plus qu’il pouvait.
Le 5 juin nous marchâmes depuis 4h du matin jusques à midi à travers de grandes montagnes couvertes de chênes, de hêtres, de sapins ordinaires et d’autres qui ont le fruit plus petit, dont nous avions vus de pareils dans les montagnes du monastère de Saint Jean de Trébizonde. Nous observâmes, outre le charme commun, une autre espèce beaucoup plus petite dans toutes ses parties. Les deux espèces de Chamaerhodendros à fleur purpurine et à fleur jaune se faisaient voir assez fréquemment le long des ruisseaux. Nous campâmes ce jour-là dans une plaine couverte de neige. Quoique ces montagnes soient moins hautes que les Alpes et que les Pyrénées, elles sont aussi tardives, car la neige n’y fond qu’à la fin du mois d’août. Parmi plusieurs plantes rares, nous observâmes une belle espèce de Renoncule à gros bouquets de fleurs blanches [cf Anemonastrum fasciculatum (L.) Holub)]. Nous n’eûmes pas le temps d’en arracher la racine.
Le 6 juin nous partîmes à trois heures du matin & nous traversâmes jusques à midi de grandes montagnes toutes pelées, et dont la vue est fort désagréable, car on n’y découvre ni arbres ni arbrisseaux, mais seulement une méchante pelouse brûlée par la neige qui était nouvellement fondue (…) Cette pelouse était couverte en quelques endroits de cette belle espèce de Violette à grandes fleurs, jaunes sur certains pieds, violet foncé sur d’autres, panachées de jaune et de violet sur quelques-uns, jaune rayé de brun avec l’étendard violet et d’une odeur très agréable.
On se leva sur les deux heures du matin le 7 juin, pour partir à trois heures ; l'on continua la route par des montagnes pelées & parmi la neige. Le froid était âpre et les brouillards si épais qu’on ne se voyait pas à quatre pas les uns des autres. Nous campâmes sur les 9 heures & demi dans une vallée assez agréable par sa verdure, mais fort incommode pour les voyageurs. On n'y trouve pas une branche de bois, pas même une bouse de vache (...). Nous ne découvrîmes rien de nouveau. Toute la pelouse était couverte des mêmes violettes, ainsi nous passâmes la journée fort tristement.
Le 8 juin nous commençâmes à la pointe du jour à nous apercevoir que nous étions véritablement en Levant. De Trébizonde jusques ici le pays nous avait paru assez semblable aux Alpes et aux Pyrénées ; pour ce jour-là il nous sembla que la terre avait tout d’un coup changé de face, comme si l’on eût tiré un rideau qui nous eût découvert un nouveau paysage. Nous descendîmes dans de petites vallées couvertes de verdure, coupées par des ruisseaux agréables, et remplies de tant de belles plantes, si différentes de celles auxquelles notre vue était accoutumée, que nous ne savions sur lesquelles nous jeter. On arriva sur les dix heures du matin à Grezi, village qui n’est, à ce qu’on nous assura, qu’à une journée de la mer Noire : mais le chemin n’est praticable que pour les gens de pied. Je fus si ébloui d’une espèce d’Echium qui se trouve sur les chemins, que je ne saurais m’empêcher d’en faire ici la description.[Echium orientale L.].
Le 9 juin, nous partîmes ) trois heures du matin & passâmes par des vallées fort sèches & toutes découvertes. On campa sur les neuf heures en dessous de Baibout [Bayburt]." TOURNEFORT 1717.