Du 9 au 14 juin 1701, de Bayburt à Erzurum
Bayburt-Erzurum
Paysage entre Baybourt et Erzurum, juillet 2025.
Paysage entre Baybourt et Erzurum, juillet 2025.
La plante ne vient que dans des lieux secs et pierreux. Steppe à Gundelia tournefortii, Askale, entre Bayburt et Erzurum, juillet 2025.
Un pays sec et brûlé en apparence, mais enrichi pourtant de très belles plantes. Askale, entre Bayburt et Erzurum, juillet 2025.
Nous marchâmes jusques à sept heures dans des prairies fertiles, semées de toutes sortes de grains. Paysage aux environs d'Askale, entre Bayburt et Erzurum, juillet 2025.
Elija [Ilica] n’est qu’un méchant village dont les maisons sont tout à fait écrasées. Village dans les environs d'Ilica, juillet 2025.
" Le 9 juin, nous partîmes à trois heures du matin & passâmes par des vallées fort sèches et toutes découvertes. On campa sur les neuf heures au dessous de Baibout [Bayburt] dans la plaine, le long d’une petite rivière. Baibout est une petite ville très forte par sa situation sur une roche fort escarpée. On fit courir le bruit que le pacha y séjournerait cinq ou six jours pour tenir les Grands-jours et l'on y amena les prisonniers de plusieurs endroits ; ainsi nous passâmes le reste de la journée à courir pour chercher des plantes ; mais nous fûmes trompés, car il fallut partir un jour après sans pouvoir monter à la ville (...). Voici une des plus belles plantes qui naisse autour de Baibout [Onobrychis cornuta (L.) Desv.] & et qui ne contribua pas peu à nous consoler de notre départ précipité.
Nous fûmes donc obligés de quitter Baibout le 11 juin. Nous imposâmes ce jour-là le nom à une des plus belles plantes que le Levant produise ; & parce que Mr. Gundelsheimer la découvrit le premier, on convint que par reconnaissance, elle devait porter son nom. Malheureusement, nous n’avions que de l’eau pour célébrer la fête, mais cela convenait mieux à la cérémonie, puisque la plante ne vient que dans des lieux secs et pierreux (…) cependant nous eûmes beaucoup de peine à trouver un nom latin qui répondît à celui de ce galant homme. Il fut enfin conclu que la plante s’appellerait Gundelia.
On partit ce jour-jà sur les huit heures du matin, nous passâmes par des vallées étroites, incultes, sans bois, et qui n’inspiraient que de la tristesse. On campa sur le midi et nous n’eûmes d’autre plaisir que celui de déterminer encore un nouveau genre de plante, lequel fut nommé Vesicaria, à cause de son fruit [Noccaea vesicaria (L.) Al-Shehbaz].
Le 12 juin nous partîmes à trois heures du matin et l'on arriva au konac à six heures avant midi : quel plaisir pour des gens comme nous qui ne soupirions qu'après des plantse et à qui on donnait tout un jour pour en chercher ! Nous ne fîmes guère plus de trois milles et suivîmes toujours la même vallée, dans laquelle serpente une rivière qu’il faut passer six ou sept fois.
Le lendemain nous ne fatiguâmes pas davantage car on ne marcha que depuis deux heures et demi du matin jusques à sept ; ce fut sur une montagne très haute où l’on voit beaucoup de ces sortes de Pins qui sont à Tarare auprès de Lyon [Pinus sylvestris L.]. On voit aussi une belle espèce de cèdre qui sent aussi mauvais que notre Sabine, et dont les feuilles lui ressemblent tout à fait, mais c’est un grand arbre du port et de la hauteur de nos plus grand cyprès [Juniperus excelsa M.-Bieb.]
On nous fit partir ce jour-là, je ne sais par quel caprice, à onze heures du soir et nous arrivâmes le 14 juin, sur les sept heures du matin, à un village appelé Iekmansour [=Çayköy]. La lune était si belle cette nuit-là, qu'elle invita les Turcs à se mettre en chemin : mais comment herboriser au clair de lune ? Nous ne laissâmes pas pourtant de remplir nos sacs ; nos marchands ne cessaient de rire en nous voyant tous trois marcher à quatre pattes & fourrager dans un pays sec et brûlé en apparence, mais enrichi pourtant de très belles plantes. Quand le jour fut venu, nous fîmes la revue de notre moisson et nous nous trouvâmes assez riches. Peut-on rien voir de plus beau, en fait de plantes, qu’une Astragale de deux pieds de haut, chargée de fleurs depuis le bas jusques à l’extrémité de ses tiges [Astragalus christianus L.] ? Elle a levé de graine dans le Jardin Royal où elle se porte bien, malgré l’éloignement & la différence des climats.
Nous découvrîmes ce jour-là pour la première fois une très belle espèce de Toute-Bonne, dont je n'avais vu que des avortons il y avait quelques années, dans le jardin de Leyden. M. Hermans, professeur de botanique en l'université de ladite ville, très habile homme et qui avait observé de si belles plantes dans les Indes orientales, a donné la figure de celle dont nous parlons. Il semble que Rauwolf, médecin d'Ausbourg, en ait fait mention dans la Relation de son voyage au Levant, sous le nom de "belle espèce d'Ormin à feuilles étroites, velues et découpées profondément" [ Salvia sp.]
On nous fit partir le 14 juin à deux heures après minuit et nous marchâmes jusques à sept heures dans des prairies fertiles, semées de toutes sortes de grains. On campa tout proche du pont d’Elija sur une des branches de l’Euphrate, à six mille de la ville d’Arzeron ou d’Arzerum, que d’autres appellent Erzeron… Elija [Ilica] n’est qu’un méchant village dont les maisons sont tout à fait écrasées, moitié enterrées, bâties de boue ; mais le bain qui est auprès du village rend ce lieu recommandable. Les Turcs l’appellent le Bain d’Arzerum.
Le lendemain, nous arrivâmes à Erzeron." TOURNEFORT 1717.